vendredi 23 septembre 2011

La nouvelle ville

Dans le passé, bien des villes se nommèrent Villeneuve, ou Neuville, ou l’équivalent. Le nom de Carthage même, qui date tout de même de huit siècles avant l’ère commune, signifiait en phénicien « ville neuve » (Qart Hradasht). Et quand on en fit une annexe en Hispanie (Carthagène), on la nomma Carthago Nova, ce qui signifie nouvelle ville neuve.

Quand il s’agit de l’inéluctable ( ?) conurbation, qui n’est pas annoncée mais qui nous pend au nez, entre Terrebonne et Mascouche, la question se pose de savoir quel nom on pourra bien donner à ce monstre interminable et dispersé qui réunira des villes et des villages parsemés un peu partout dans le sud de Lanaudière.

Certes les fusions, concentrations et autres compostages sont à la mode de nos jours. Quand on ne refuse pas de laisser les peuples disposer d’eux-mêmes sous prétexte de fédéralisme ou d’impérialisme, ce sont les entreprises que l’on concentre au point d’en faire des trous noirs dont aucune information ne peut plus s’échapper. Quant on ne veut pas fusionner autoritairement et maladroitement des villes et surtout des populations qui n’avaient rien demandé, et que l’on défusionne à grands frais simplement pour défaire ce qu’on fait les adversaires, ajoutant ainsi une sottise à une autre sans rien corriger, on s’arrange pour “harmoniser” subrepticement les services municipaux, sans jamais consulter les simples citoyens, bien entendu, afin de les mettre devant le fait accompli. Une fois les villes artificiellement transformées en sœurs siamoises, il serait bien inutile de se refuser de faire l’économie d’une tête.

Qu’il y ait des arguments valables en faveur de la fusion des villes, je n’en disconviens pas, d’autant moins qu’ils ne m’ont pas été présentés, puisque l’on méprise très ostensiblement l’opinion publique.

Que des tractations secrètes, et pourtant si peu discrètes, aient lieu entre des maires dont l’un est poursuivi et l’autre traîne plus “d’allégations” qu’une voiture de jeunes mariés n’a de boîtes de conserve, cela n’est pas très représentatif des populations concernées, mais ô combien du fonctionnement de la politique municipale telle qu’on la pratique ici et maintenant, et que n’auraient pas désavoué les potentats d’avant la révolution tranquille.

Donc, que cela vous plaise ou non, les deux villes où s’exercent les mêmes influences seront réunies en un seul cheptel, taillable et corvéable à merci, ce qui simplifiera la tâche des gardiens du troupeau. Peut-être était-ce inéluctable, peut-être les inconvénients seront-ils négligeables face aux avantages, à supposer que ces avantages et ces inconvénients concernent et affectent les mêmes personnes. Nous n’en saurons rien, puisque tout a déjà été décidé entre les gens qui comptent, qui savent compter, et pour lesquels nous ne sommes au fond que des têtes de bétail. Nous eussions apprécié d’être tenus au courant, voire même consultés, mais il appert que nous ne le méritions pas. Et puisque tout est toujours unanime au conseil de ville de Terrebonne, aucun débat n’est jamais nécessaire.

Lors de la dernière réunion publique du conseil municipal, qui réunit une demi-poignée de citoyens sur les cent mille que compte la ville, Monsieur le Maire (qu’il nous soit permis de luis souhaiter, en retard, un bon anniversaire) a très explicitement nié qu’ils soit aucunement question de fusionner les villes, ou quoi que ce soit.

C’est pourtant un secret de polichinelle.

Le télescopage est donc en route et nous en verrons – subirons – sous peu les conséquences. Lequel rentrera le plus profondément dans l’autre, cela reste à déterminer, mais on sait déjà qui est le dindon qui sera farci jusqu’au trognon : le contribuable.

Ainsi donc, nous serons dans quelques temps, selon toute apparence et en dépit des dénis, des Terrebonienmascouchois, ou des Mascouchoiterrebonniens. Mais il faudra bien trouver à ce nouveau poudding chômeur un nom digne de ses ambitions. Il va sans dire qu’on ne consultera pas davantage les citoyens, ou alors pour faire semblant (c’est celui qui compte les votes qui proclame les résultats) et sur les sujets sans importance. Mais rien ne nous empêche, à titre de jeu sans conséquence aucune – c’est à peu près la mesure des libertés que l’on consent à nous laisser – d’imaginer ce que ce nouveau nom pourrait être.

La première chose qui vient à l’esprit, c’est de prendre le nom de l’un des chefs d’entreprise les plus influent de la région, comme cela se fit parfois aux États Unis, qui sont, n’en doutons pas, notre modèle en toute chose. Mais il faudrait pour cela nommer quelqu’un, et deux raisons s’y opposent : premièrement, il faudrait choisir ; ensuite, ce sont des gens qui préfèrent la discrétion et n’apprécieraient pas d’être ainsi mis en lumière, et qui disposent des moyens de dissuasion nécessaires pour plier quiconque à leurs volontés, y compris ceux qui auraient la prétention de gouverner.

Alors, quoi ? Rebaptiser la nouvelle ville en l’honneur de l’un des maires sortants ? Ce serait faire insulte à leur modestie. Ils insisteraient l’un et l’autre pour qu’on n’en fasse rien. 

Sûrement.

Chercher un nom connu de tous, parmi les fondateurs les figures historiques locales ou les familles qui ont laissé un bon souvenir à tout le monde et font partie du paysage ? Oui, mais lequel ? Devrait-on privilégier Terrebonne, qui compte plus de population ? Ce serait s’exposer à ce que Mascouche en conçoive la même haine que Québec envers Montréal, pour les mêmes raisons. Ce serait peu diplomate,
Demander l’avis des populations ? Ce serait instaurer un précédent dangereux, maintenant que les bonnes gens sont habitués à ce que tout se décide et se fasse sans eux. Ils pourraient s’aviser de se mêler de leur propres affaires et se mettre à croire qu’ils vivent en démocratie.

Non, décidément, trouver un nom à ce nouveau mélange ne sera pas si facile, et il y a fort à parier qu’il ne satisfera personne ou presque.

Ensuite, comment sera organisé ce nouveau machin ?

Le divisera-t-on en districts, en arrondissements ? Faudra-t-il élire – et payer – un sous-maire et des sous-conseillers municipaux pour chacun d’entre eux ? Mais cela serait-il bien raisonnable, surtout pour les entrepreneurs qui préfèreraient sans doute avoir moins d’interlocuteurs avec lesquels s’entendre.

Les citoyens devront-ils faire une demi-heure de voiture (aller, et autant au retour) sur des routes défoncées et encombrées pour avoir accès à leurs édiles et assister aux conseils municipaux ? Devront-il faire la queue à la porte d’une salle minuscule expressément prévue pour n’en admettre qu’une poignée ? Pourront-ils compter sur une communication efficace, moderne, rapide et suivie de la nouvelle mairie fusionnée, et seront-ils témoins des dissensions qui surviennent parfois dans les familles recomposées ?

Bien d’autres questions se posent quant à ce que l’avenir, et surtout les décideurs, nous réservent. Nous espérons en savoir un jour le fin mot, mais nous ne nous faisons pas trop d’illusions.

Nous ne le saurons de toute façon que trop tard, une fois mis devant le fait accompli.

Thibaud de La Marnierre
Renouveau Terrebonne

Ce texte a été publié par Le Trait d'Union, le 22 septembre 2011. 
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